Propos insignifiants
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 Lecture de Voyage au bout de la nuit

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LP de Savy
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MessageSujet: Lecture de Voyage au bout de la nuit   Lecture de Voyage au bout de la nuit Icon_minitimeMar 18 Oct 2005 - 21:24

Le texte suivant est un extrait du journal de Raphaël J.

http://megalo-monjournal.chez.tiscali.fr/journal2002_12.htm


Samedi 7 décembre 2002

Je dormais dans un lieu qui ne m'est pas familier et je devais me lever tôt : tout était donc réuni pour que je dorme relativement mal, ce qui fut à peu près le cas. Disons que le sommeil est arrivé comme Zorro, sans se presser. Arnaud et Thomas dorment toujours lorsque nous nous levons, et nous prenons le petit déjeuner dans la cuisine pour ne pas les déranger. Petite toilette pour se réveiller, et nous partons à sept heures. Il fait encore plus froid qu'hier, et bêtement je n'ai pas pris mon col roulé. Sébastien est malin, lui : il a une écharpe. Moi j'ai la gorge au vent. Vicieux, le vent. Nous ne savons toujours pas comment va se dérouler la journée. Place de la Sorbonne, pas un chat cancériste à l'horizon, pas d'affiche, rien. Nous emboîtons le pas à deux étudiants et pénétrons dans le hall de la Sorbonne. Le gardien nous demande ce que nous cherchons, nous le lui expliquons : il n'est pas au courant. Visiblement, ça n'aura pas lieu dans la Sorbonne. Histoire de tuer le temps en attendant d'en savoir un peu plus, et surtout de marcher un peu pour nous réchauffer, nous faisons le tour de l'Université, revenons par la rue Saint-Jacques à notre point de départ. Toujours personne. Nous regardons à travers les vitres des deux bars qui sont là, quand je vois Johann Cariou sortir de L'Escholier. Je l'appelle, nous nous saluons. Je lui demande où aura lieu la lecture, il me montre la fontaine : " Ici. " Quoi ? Dehors ? Pendant que nous accusons le coup, il va à la rencontre de Bruno Deniel-Laurent parti chercher " le matériel ". Le Belge Frédéric Saenen sort du bar à son tour et, ayant sans doute remarqué que nous avions discuté avec Johann - ou que nous avions l'air d'attendre quelque chose -, il nous rejoint. Johann et Bruno arrivent avec le " matériel " : un pupitre pliable et quelques affiches. Ils ont aussi le dernier numéro de Cancer ! J'en prends un pour Sébastien, et Johann m'en donne deux autres : le mien et celui d'Anthony. J'achète aussi le hors-série consacré à Céline et illustré par Nabe. Une dame assez âgée, venue " entendre : "Ça a débuté comme ça…"", consulte le hors-série et s'offusque : " Oh, non, alors ça… Tout le reste, c'est très bien, mais Nabe, quand même… " Laurent James, qui a de faux airs de Benoît Poelvoorde en plus costaud et sans accent - puisque c'est Saenen qui s'en occupe -, lui répond : " Ce n'est qu'une illustration, en même temps… " Je demande à Bruno si je peux déposer quelques Bigorno, il accepte.
C'est Michel Simon qui aurait dû ouvrir la lecture, mais les cancéristes n'ont pas été autorisés à brancher quoi que ce soit. C'est donc Frédéric qui se lance. Ça a débuté avec l'accent belge. Plus tard, la dame qui n'aime pas Nabe grommelle encore : " Pourquoi vous n'avez pas lu La Chanson des Gardes Suisses ?… C'est le plus beau ! " Laurent James succède à Saenen. Bien que Marseillais, il n'a pas d'accent. Il est rodé en ce qui concerne les lectures publiques, il gesticule, hurle, vit réellement ce qu'il lit. Il nous apprendra plus tard dans la journée qu'il adore lire à voix haute, qu'il a lu l'intégralité du Journal de Nabe comme ça, ainsi que Les deux étendards de Rebatet. Johann Cariou le suit. Lui ne joue pas, lit presque pour lui même. C'est au tour d'Arnaud Le Guern, je constate qu'il zozote un peu.
Non seulement Johann et Bruno sont allés sur mon site, mais il semble qu'ils en ont parlé aux autres collaborateurs, puisqu'Arnaud Le Guern était au courant que je tenais mon journal sur Internet, et que Laurent m'a même demandé depuis quand il était en ligne. Bruno m'annonce qu'il a réservé un droit de réponse à Bigorno, puisqu'il ne porte pas la mèche à droite, mais à gauche. C'est exact, quel piètre observateur je fais !

David Mathieu succède à Le Guern : sentencieux derrière son pupitre, en chapeau et écharpe rouge, le vélocipédiste lit la rencontre de Bardamu et de Robinson. Beaucoup de ceux qui devaient venir se sont désistés : le froid est assez décourageant, c'est vrai. Je me doutais que cette journée de lecture publique intégrale de Voyage au bout de la nuit serait un marathon, une lutte, une expérience physique à laquelle je ne suis pas habitué… Ajoutez à cela le fait de se tenir debout toute une matinée, dans le vent glacé, en sautillant d'un pied l'autre pour feindre de se réchauffer, en faisant de la vapeur avec sa bouche et du flamenco avec ses dents… Le charme d'Isidora Pezard me réchauffe un peu, tout de même. Elle lit une autre rencontre : celle de Bardamu avec Lola. Philippe Alméras n'aura pas fait faux bond aux cancéristes : il est venu lui aussi lire son passage, se débattant avec ses photocopies, faisant briller sa chevalière, noble vieillard en chapeau. Lui aussi a choisi son passage avec soin, ce coquin : Madame Hérote et la petite Musyne… " Si les gens sont si méchants, c'est peut-être seulement parce qu'ils souffrent, mais le temps est long qui sépare le moment où ils ont cessé de souffrir de celui où ils deviennent un peu meilleurs. " Une fois sa lecture terminée, Alméras nous quitte en blaguant, certain que nous allons tous crever à rester dans le froid comme ça. C'est sans doute ce qu'on recherche : connaître un peu la guerre aussi nous autres… Pour attirer le public, Laurent James a collé une affiche : " Téléthon 2002 - Lecture publique de Voyage au bout de la nuit ".
Bernard Malblanc lit le passage qui se situe avant le mien. La matinée est déjà bien entamée, il doit être onze heures bien passées, le froid fait désormais partie de nous. À mesure que je lis, je titube de tremblements, ma main, celle qui ne tient pas le livre, crispée de froid au pupitre, plus pour m'appuyer sur quelque chose que pour éviter au pupitre de tomber à cause du vent. Après ma lecture, Bernard nous propose d'aller boire un café à L'Escholier. Il me faut quand même un certain temps avant de me réchauffer. C'est les mains qui restent désespérément rouges et gelées, même si par moment la chaleur irradie dans mes doigts en picotements douloureux. Il faut dire que nous sommes près de la porte. Bernard me parle de Suarès, auquel il a consacré une chronique dans Cancer !, notamment des deux volumes qui viennent de paraître chez Robert-Laffont. Il me parle de ça à propos de mon entretien avec Anthony, La Vérité en fourrure, et de ma question : " La littérature est-elle de droite ? " Nous remarquons que sur la place, il y a soudain un attroupement. C'est logique : il n'est plus très loin de midi, les gens sont de passage. Fabrice Trochet, sympathique binoclard rédacteur en chef du Grain de sable, lit son passage. Ça y est, nous sommes en Afrique, en Bambola-Bragamance, et l'évocation des journées torrides, de la canicule et du paludisme tranche bizarrement avec cette journée glaciale, ce froid vif et nos engelures… Comme toutes les séquences du Voyage n'ont pas trouvé leur lecteur et que d'autres part certains inscrits ne sont pas venus, les séquenciers imprimés sur des feuilles volantes passent de main en main. J'en ai un dans ma poche également, rédigé jeudi soir. Laurent James surtout veille à prévoir à l'avance qui pourra lire les séquences suivantes, afin de ne pas être pris au dépourvu le moment venu. Il me propose de relire un passage, ce que j'accepte. Le premier passage que j'avais lu concernait les premières retrouvailles de Bardamu et de Robinson, à Paris ; le second relate leurs deuxièmes retrouvailles, en Afrique. Il n'y a pas de hasard.
Ma lecture faite, et comme nous avons pris bien le temps de nous refroidir à nouveau, que nous tournons sorbets, tous autant que nous sommes, et qu'il est deux heures de l'après-midi, je propose à Sébastien qu'on aille faire un tour chez Gibert. Cette fois-ci, j'ai bien l'intention de ne rien acheter, mais les librairies sont chauffées… Nous déambulons donc devant les livres, bénissant les radiateurs, et la chaleur nous fait sentir encore plus combien nous sommes fatigués. À grelotter, nous n'y pensions pas, trop occupés à faire des staccatos avec nos dents, mais sitôt qu'un peu de confort revient… Nous passons là un peu plus d'une heure, puis nous retournons place de la Sorbonne.
Il y a moins de vent, le froid est donc devenu presque supportable. À côté de notre petit attroupement de céliniens-situationnistes se sont installés des militants de Greenpeace. Grandes moches banderoles blanches, et rien de plus. Un type reste là avec son paquet de tracts, à interpeller timidement le badaud. Je discute avec Arnaud Le Guern et Laurent James, de Bigorno. Le Guern me demande si ce n'est pas moi qui lui ai écrit, il y a un an, pour lui parler du fanzine. Ce n'est pas moi, non, c'est Anthony. Il me répond que ça lui disait bien quelque chose, ce nom-là, Bigorno… " Et c'est bien toi qui tiens ton journal sur le Net ? " Oui, ça c'est moi. Laurent James a trouvé génial mon entretien avec Zukry, La Vérité en fourrure. Il apprécie énormément cette forme littéraire, se demande si on peut trouver aujourd'hui des livres vraiment importants qui seraient écrits sous cette forme. Lui n'en voit aucun. Frédéric Saenen intervient, pour lui les dialogues de Platon sont l'exemple même des chefs-d'œuvre conçus de cette manière. Laurent l'approuve, mais lui demande s'il connaît des œuvres contemporaines qui fonctionneraient ainsi, même sans qu'il s'agisse forcément de chefs-d'œuvre. En rigolant, Frédéric lui répond que certains livres d'Amélie Nothomb fonctionnent ainsi, qu'Hygiène de l'assassin n'est pas autre chose qu'un immense dialogue. J'explique à Laurent que cette idée d'entretien est partie du livre de Zagdanski et d'Alina Reyes, La Vérité nue. Il l'avait remarqué, et visiblement il a beaucoup aimé ce livre. Le Guern, James et moi nous mettons donc à évoquer les défauts et les qualités de Zagdanski, ce que Nabe écrit à propos de Zagdanski, ce que Zagdanski écrit à propos de Nabe, Zagdanski et sa manie des citations… Je félicite Laurent pour l'article qu'il avait écrit après les résultats du premier tour des présidentielles, Arnaud lui apprend d'ailleurs qu'à cette occasion il avait été traité de " petit facho de province " dans un forum Internet. Laurent l'ignorait complètement. " Franchement, le mot qui me gêne le plus, là dedans, c'est province ! Qu'est-ce que ça veut dire ? "
Il n'est plus très loin de 16 heures. La lecture s'est interrompue quelques minutes, nous attendons Christophe Chemin, auteur de deux livres chez Balland. Le voilà qui arrive. Il massacre Céline avec sa voix criarde, lit son passage en hurlant, comme s'il s'agissait d'une agression constante, sans même faire la différence entre récit et dialogue, éructant comme un porc qu'on égorge, totalement insensible à l'ironie et au cynisme célinien. La façon de lire de chacun est très révélatrice de leur conception de l'œuvre et de son auteur…
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LP de Savy
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MessageSujet: Re: Lecture de Voyage au bout de la nuit   Lecture de Voyage au bout de la nuit Icon_minitimeMar 18 Oct 2005 - 21:25

Il est suivi par Cécile Helleu, femme enceinte en manteau rose, également auteur chez Balland, qui lit assez bas à cause d'un mal de gorge. Elle aimerait qu'on lui apporte de l'eau, mais personne n'a d'eau : tout le monde carbure au rhum, au whisky et au vin depuis le matin, pour se réchauffer (sauf Sébastien et moi). Elle accepte donc quelques gouttes de vin dans un gobelet, pour s'éclaircir la voix. Avec le vent, revenu pour l'occasion, son gobelet de vin finira sur la couverture d'un hors-série de Cancer ! Philippe Alméras est revenu faire un tour sur la place, il plaisante : " Je suis en train de mourir à cause de vous… " Tournant par hasard la tête vers la droite, qui vois-je arriver, embrassant Isidora et saluant les cancéristes ?… Marc-Édouard Nabe en personne ! Suis-je ravagé de sanglots comme un staracadémycien devant Lara Fabian ? Non : je suis un peu moins concentré sur la lecture du Voyage, c'est tout… Nabe s'assoit juste derrière moi, sur le muret, et feuillette le dernier numéro de Cancer ! Il a apporté la dernière livraison de L'Infini, pas encore parue, l'ouvre à la page d'un texte d'Arrabal : celui-ci a donné le même texte à Cancer ! et à L'Infini ! Bruno et Johann n'ont pas l'air de s'en affliger beaucoup. Nabe commente les illustrations. La photo de Houellebecq le choque : " Vous auriez pu choisir une photo moins célinienne ! Là, c'est exactement le genre de poses que Céline prenait… " La photo de Mingus, quelques pages plus loin, lui plait par contre beaucoup. Les cancéristes le laissent. Je profite qu'il y a de la place à côté de Nabe pour m'asseoir. Comme il feuillette maintenant le hors-série, je me présente, lui explique que je lui ai envoyé il y a deux mois un numéro de Bigorno dans lequel j'avais écrit un texte le concernant, et son visage s'illumine : " Ah, oui ! C'était vous, alors ? "La charmante Isidora…" Bravo, vous êtes bien renseigné !… " Rires complices entre Nabe et Isidora. Je bois du petit lait. " Quand j'ai lu ça, je l'ai tout de suite montré à Isidora, c'est très bien ! " Il me demande si j'ai un fanzine sur moi. Tous ceux que j'avais, je les ai déposés en étalage, devant la fontaine. Je ne pense pas qu'il m'en reste un du numéro 5, malheureusement. Il voulait me montrer certains passages. Il me fait signe : " Il vous en reste un là-bas, regardez. " Bonne vue pour un myope ! Moi je ne voyais plus que des numéros 4 et des hors-série. Je vais chercher le fanzine. L'impression en est très mauvaise, cela devait être à un moment de pénurie d'encre. Lui aussi a apprécié La Vérité en fourrure. Il me montre un passage, celui où Zukry l'évoque. " Ça c'est très bon. C'est vous aussi, ça, Zukry ? " Non, c'est un ami. Il parcourt mon texte. Il approuve cette idée de livrer des clés en donnant quelques noms sans les prénoms, quand lui dans son roman donne les prénoms sans les noms. Que j'aie pu découvrir certaines clés l'impressionne beaucoup. " Delphine Gatard, par exemple, comment vous saviez ? Et Fanny Bastien ? Et Thomas Ravier ?… " Je lui explique, il me félicite de nouveau : " Très bonnes déductions ! " Il me félicite encore pour un passage : " … Nabe se jette des fleurs (lui qui en est si loin)… " Il rit à nouveau de la fin de Chronique d'une naissance annoncée, où j'évoque brièvement ma rencontre avec Isidora. Pour finir encore, il me demande si je reste longtemps sur Paris. Eh non, malheureusement, je rentre demain. Il me dit qu'il faudra quand même qu'on essaie de se revoir. " Il faudra qu'on fasse quelque chose. " On ne peut plus pour je suis ! Gaylord Lambert et Nicolas Milin entonnent Règlement en s'accompagnant au synthé, et beaucoup chantent avec eux. Puis ils continuent avec À nœud coulant. Nabe demande à Bruno si l'équipe de Paris dernière a été prévenue que la lecture se déroulait ici. Bruno acquiesce, mais l'heure prévue par l'équipe ne plait pas à Nabe : trop tardive. " Je vais appeler Frédéric ", conclut-il. Il prend son portable, s'éloigne. Nabe qui téléphone à Taddéï, j'aurais tout vu aujourd'hui ! Il revient, annonce que l'équipe sera là vers dix heures moins le quart. Bruno lui explique qu'à partir de dix heures, le patron de L'Escholier a accepté que la lecture se poursuive dans son bar. Nabe pense qu'il faut vraiment que nous soyons tous filmés dehors, c'est beaucoup mieux pour l'image. Il n'a pas tout à fait tort. Il va d'ailleurs y boire un verre, à L'Escholier.

La lecture se poursuit. Eugène Saccomano ne viendra pas. C'est Laurent James qui lit son passage. Anthony sera déçu, je ne pourrai pas lui dire si Saccomano est aussi bon lecteur que commentateur sportif… Il commence à faire nuit, la lecture devient difficile. On déplace pupitre et étalages de revues devant la librairie Vrin, sous un lampadaire. Alain Santacreu commence à lire son passage, mais au bout d'un moment, il y a comme un air de déjà entendu… Bardamu était de retour à Clichy, le revoilà au Laugh Calvin ! Santacreu est en train de lire ce que lisait il y a une heure Christophe Chemin ! En consultant l'édition de Santacreu, Laurent constate qu'il ne s'agit pas de la même, que les pages ne correspondent pas. Il recherche le passage que doit lire Santacreu, et celui-ci reprend. Je commence à prendre conscience de la journée que nous avons passée sur cette place. C'est très amusant : l'arrivée à huit heures, dans la nuit, les quelques cafés ouverts, les quelques étudiants rejoignant la Sorbonne en jetant un œil étonné à notre attroupement, le jour qui se lève au fur et à mesure que nous avançons dans le roman, les magasins qui ouvrent petit à petit, le mouvement ininterrompu de la rue, le coup de feu de midi, le public un peu plus nombreux, intrigué, plus ou moins intéressé, l'arrivée des Greenpeace et de leurs banderoles, le départ des Greenpeace et de leurs banderoles, et le jour qui baisse, 17 heures, 18 heures, 19 heures, les magasins qui ferment… Sébastien et moi retournons à L'Escholier nous réchauffer. En sortant des chiottes, je tombe sur Cariou. En nous voyant remonter ensemble des toilettes, Isidora lui dit : " Tiens ? Tu vas pisser et tu ramènes un bigorneau… "
Une fois réchauffés, nous retournons nous refroidir. Tout le monde est plus ou moins soûl, une nana qui transporte une caisse de bière dans son sac passe le temps à picoler, avachie contre un arbre, tandis que sa copine fait de même au whisky. Bruno me dit que désormais il se méfie de moi, que je suis devenu une sorte de Nabe avec mon journal (merci du compliment). Il veut faire une rectification : " Je ne dis jamais : "on s'encule", je dis : "on s'entrouducute"… " Très bien, c'est noté. Une comédienne, Aleq, vient lire d'une façon très lente son passage. Elle porte un vieux casque d'aviateur en cuir rouge sur la tête. Réflexion de Laurent James : " C'est Satanas et Diabolo ! " Il note sur un coin de feuille : Satanas et Diabolo. Véronique Robert vient lire deux pages après le morceau assez long d'un type un peu bègue dont l'écoute était fastidieuse. Après tout, cette lecture publique n'était pas réservée qu'aux gens qui s'expriment avec facilité ! Laurent James lit encore un passage, avec toujours cette même fougue. Le plus drôle, c'est lorsqu'il imite l'accent toulousaing. Comme il est dix heures et demie et que l'équipe de Paris dernière semble nous avoir oubliés, nous nous installons à L'Escholier. Dès que tout le monde est assis, le patron vient prendre les commandes. Très sympathique gros lard, le patron : un client lui dit : " Attendez, j'ai pas choisi encore… " Il lui répond : " Non, j'attends pas : on fait comme tout le monde, on se décide. " Nous sommes une bonne vingtaine dans ce troquet, et lorsqu'une fille lui répond qu'elle ne prendra rien, alors que tout le monde est déjà servi : " Non, on fait comme tout le monde : si on s'assoit, on prend quelque chose. " Il balance son gros ventre entre les tables sans se soucier de la lecture. Laurent James est impressionné : devant lui se tient Christian Lançon, qui est le premier à avoir consacré un article à Costes dans Rock & Folk, Costes qu'il a d'ailleurs interviewé pour la télé. Laurent tombe des nues : " Pour La Nuit de l'Œil du Cyclone ? Pas possible ! C'était vous ? Je connais ce document par cœur, je l'ai vu au moins cent fois !… " Il lui baise la main. L'autre joue au modeste : " Vous savez, je n'ai fait que l'interviewer, ce n'est pas moi qui ai réalisé le reportage… "
Nous atteignons petit à petit le bout de la nuit. Lors de la scène du Tarapout, Laurent ne se tient plus de joie : " L'un des trois plus importants passages du roman ! " Il drague une jolie blonde à laquelle Bruno se colle aussi. Quelques heures auparavant, Laurent m'a emprunté mon exemplaire du Voyage, et ne me l'a pas rendu. Comme il ne sait pas ce qu'il en a fait, il me dit de me servir parmi l'un des exemplaires qui sont sur les tables. Il me semble bien d'ailleurs que c'est son exemplaire que j'ai fini par prendre, toutes les séquences étant délimitées par des pages cornées. C'est en tout cas l'exemplaire d'un cancériste. Il ne doit plus rester que quatre séquences à lire, mais Sébastien et moi décidons de rentrer pour ne pas rater le dernier métro, malgré l'insistance de Bruno et de Laurent : " Toujours cette excuse du métro ! Restez, quoi… on passe quatre heures tous ensembles, et vous attrapez le premier métro de cinq heures… " J'étais sûr qu'il réagirait comme ça. Il trouve encore le moyen de me dire que le coup de la " petite mèche fascistoïde ", dans mon journal, ce n'était pas très sympa de ma part. Je le reconnais tout à fait, mais peut-être aussi que je la jalouse, sa mèche, tout simplement ! Plus jamais je ne pourrai avoir une mèche comme ça, moi !
Nous rentrons donc. On aura donc tenu toute la journée… À huit heures ce matin, on ne s'en serait jamais cru capables. Thomas et Arnaud sont couchés quand nous entrons, nous mangeons une omelette dans la cuisine, buvons un chocolat, et nous nous couchons. Ce qui me fait le plus mal, c'est le dos, à rester debout toute la journée, recroquevillé pour se protéger du vent… et les reins. À grelotter sans arrêt, je m'en suis perturbé le transit ! Toute cette tuyauterie mal purgée, quelle belle image pour achever une journée célinienne…
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