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LE ROMAN SOUS LE DESSIN
Ces deux-là font la paire : à gauche le dessinateur Jean-Jacques Sempé, à droite l’écrivain Benoît Duteurtre, saisis à la librairie de la rue d’Odessa (XIVème). Dans la vie, ils ne se détestent pas. Il faut croire que leurs univers ne sont pas aux antipodes puisque l’un signe la couverture du roman de l’autre Chemins de fer(205 pages, 17 euros, Fayard). On peut le lire comme une petite chose légère et mélancolique, ou comme une “Critique de la raison ferroviaire”, c’est selon. L’héroïne de cette satire, une communicante parisienne qui possède une maison au vert, est fatiguée de ses démêlés avec la SNCF, de ces villageois qui mettent des rails partout, de la poésie de l’hiver. Elle fuyait le progrès en montagne, où la modernité la rattrape sous la forme d’un grand réverbère design à l’éclairage tout crû. Une faute de goût que cette intrusion de la civilisation urbaine en altitude. Après le réverbère, les poubelles écolo. Roman suit… Curieusement, cette Florence paumée et désarçonnante, déchirée entre nature et culture, technologie et agriculture bio, évoque… disons, un personnage de… Sempé, au hasard. Chemins de fer,roman nostalgique d’une exquise ironie, me fait penser à Antoine Blondin lorsqu’il refusait de se déplacer à pied à la campagne au motif que les chemins de terre étaient en grève. Précisons que lorsqu’il n’est pas quelque part dans le monde, Benoît Duteurtre se réfugie nulle part, au bord vertigineux du monde, c’est à dire dans les Vosges. Souhaitons lui de ne pas connaître avec ses voisins le même sort que Pierre Jourde avec les siens, lesquels avaient tenté de le lyncher après s’être reconnus dans son roman. En principe, il ne risque rien. Pour en juger avant même de l’ouvrir, il leur suffit de regarder le livre : s’ils aiment le dessin de couverture, ils aimeront le roman qui est dessous. Et réciproquement.