Philippe Muray était à sa manière un orthodoxe. Il n'aimait pas son époque. La littérature était son Eglise et sa plume, sa plaie. Orthodoxe, il l'était par fidélité à la providence. Il accueillait le monde sans chercher son approbation. C'était sa force et sa faiblesse. Il n'aimait pas le progrès dans les moeurs. Ennemi du spectacle, du besoin moderne de transparence, il essayait de rire de la Love Parade, des parcs d'attraction, de la pénalisation ambiante, du mythe de la santé parfaite. Le dictionnaire qu'il nous a laissé, inachevé, porte le nom donné à celui de Voltaire : le Portatif. Murait ne croyait pas à la réconciliation de l'homme et de la société. Les seules histoires qui l'intéressaient étaient celles qui racontaient les rencontres de personnes qui n'auraient pas dû se rencontrer. Dans son dictionnaire, c'est donc l'envers de l'histoire contemporaine qu'il raconte : la seule providence à laquelle il consentait. Tout le reste, le calcul social et la bonne conscience, l'effrayait. Après sa mort, son secret reste intact.
Philippe Petit, Marianne, 2 décembre 2006.