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 Carnet du Front populaire d'André Malraux

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LP de Savy
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MessageSujet: Carnet du Front populaire d'André Malraux   Carnet du Front populaire d'André Malraux Icon_minitimeVen 26 Mai 2006 - 16:01

Critique

Mémoires d'un dynamiteur

LE MONDE DES LIVRES | 25.05.06 |

Un petit cahier broché, recouvert de papier jaune pâle. Entre deux coupures de presse collées à même les pages, on reconnaît le trait majestueux d'André Malraux (1901-1976). L'écrivain y a consigné quelques moments vécus entre le printemps 1935 et l'été 1936, c'est-à-dire jusqu'à la veille de son départ vers le front espagnol. Souvent télégraphiques, mêlant abréviations et initiales, ses notes attrapent le quotidien de la France du Front populaire, alors que "le peuple de Paris vient de se voir lui-même pour la première fois depuis la Commune".


Y surgissent les fins de meetings (L'Internationale entonnée à voix basse), les défilés enflammés ("drapeaux tricolores dans un vent du diable") et les grandes voix du mouvement ouvrier (Blum, "obsédé par le mot loyauté"), bien sûr, mais aussi des personnages plus inattendus : un vieux garçon de café avignonnais, par exemple, dissertant sur le palais des Papes ("Trente-cinq ans que je le regarde ! Vous croyez que c'est une vie ?"), avant d'énoncer à sa manière la vérité ultime du politique : "Je vais vous dire, Mr : il n'y a qu'une chose qui compte, c'est quand le peuple a faim"...

Nulle confession, ici. Il ne s'agit pas, pour Malraux, de poser sur le papier ses propres faits et gestes, encore moins de confier ses états d'âme. Sous sa plume, tout n'est qu'observations, croquis, rencontres. Tant et si bien que ce Carnet du front populaire, "entièrement tourné vers le monde extérieur", peut être lu comme un véritable "antijournal", pour reprendre la formule proposée par Jean-Yves Tadié dans sa préface. Et de fait, dès l'ouverture du texte, l'écrivain avait pris soin d'annoncer clairement son parti pris : "Ce journal n'a aucun caractère personnel. Ce sont seulement des notes d'instants significatifs pour être employées plus tard."

Or il n'y aura pas de "plus tard". Ou du moins pas comme prévu : les notes en question ne seront réinvesties dans aucun des romans publiés par Malraux au cours des années suivantes, pas plus qu'elles ne seront utilisées dans les essais qui paraissent après-guerre. Si l'"antijournal" de 1936 trouve néanmoins un prolongement dans l'épopée malrucienne, ce sera donc surtout par son audace formelle, et ce, trois décennies plus tard, dans le vaste cycle intitulé Le Miroir des limbes. Au coeur des fameux Antimémoires (titre du premier volume) publiés à partir de 1967, en effet, on retrouvera cette même esthétique de la disponibilité, cette poétique du dialogue, qui minent les cadres traditionnels du récit de soi, jusqu'à les faire imploser.


L'ÉCRIVAIN EN ARTIFICIER


De cette opération de dynamitage formel, où "le passage à la première personne n'implique pas un repli sur les gouffres de l'identité personnelle, mais au contraire une confrontation aux autres", Jean-Louis Jeannelle fait le geste crucial de Malraux. Dans un essai magnifiquement composé, le jeune chercheur brosse un portrait de l'écrivain en artificier de la littérature, dont la prose est emportée par un double mouvement de démolition et de refondation : " Le Miroir des limbes offre l'unique exemple d'un récit associant à la mémoire de toute une tradition littéraire sa plus radicale déconstruction", note-t-il en ouverture de Malraux, mémoire et métamorphose.

Mais avant d'explorer l'architecture narrative des Antimémoires, il faut en situer la genèse. Au milieu des années 1960, Malraux a atteint "l'âge où on commence à voir les copains mourir dans les journaux", selon ses propres termes. Cela fait d'ailleurs un moment qu'il a effectué son grand tournant : le romancier combattant, ancien compagnon de route du Parti communiste et héros de l'escadrille España, est désormais le fidèle complice du général de Gaulle, lequel l'a nommé ministre de la culture. Et s'il est déjà édité en "Pléiade", l'auteur de L'Espoir, quasi embaumé à force de célébrité, n'écrit plus guère depuis de longues années. A cette souffrance viennent s'ajouter plusieurs drames intimes qui le plongent dans une profonde dépression. De là le voyage entrepris en 1965 (Egypte, Chine, Inde...), décidé "par ordre des médecins", et à la faveur duquel les Antimémoires émergent comme projet.

D'abord semi-thérapeutique, cette croisière ne tarde pas à se transformer en voyage officiel, de Gaulle envoyant son "ami génial" auprès de Mao ou de Nehru. Mais l'odyssée qui commence sera surtout celle d'une écriture. "Je suis en train de noter des souvenirs, ou des machins comme ça", rapporte Malraux. Or, à la différence du Carnet de 1936, ces notes ne seront pas qu'un "pré-texte" vite abandonné ; au contraire, elles formeront le coeur d'un récit à bien des égards déroutant, car d'emblée conçu pour demeurer instable et toujours en gestation : "les Antimémoires sont des "ante-" ou des "pré-Mémoires"", explique Jeannelle.

L'essentiel se laisse alors entrevoir. Avec les Antimémoires, Malraux effectue son grand retour sur la scène littéraire, prenant à contre-pied une époque dont les avant-gardes proclament la ruine de l'humanisme et du "sujet" (Foucault, Derrida, le structuralisme). Mais le ministre écrivain ne se contente pas de se poser en héritier d'un genre "mémorial" qui s'est distingué par sa remarquable stabilité, depuis sa naissance au XVe siècle (Philippe de Commynes) jusqu'à son apogée au XIXe (Chateaubriand). En fait, il n'investit ce modèle narratif usé que pour l'ouvrir aux quatre vents, déjouer ses codes et subvertir ses plus vieux canons.


"TRAVERSÉE DES LIMBES"


C'est l'histoire de cette "métamorphose" que raconte Jean-Louis Jeannelle. Rigoureusement captivante, son étude est trop minutieuse pour qu'on puisse en dérouler tous les plis. Disons simplement que procédures d'énonciation et techniques d'écriture y sont décortiquées une à une, de façon à montrer comment Malraux donne congé au "sujet en gloire" qui fait l'ordinaire des Mémoires : "Alors que le mémorialiste s'efforce de ressaisir l'unité de son existence pour la défendre de l'oubli et de la disparition, l'antimémorialiste affronte pour sa part les forces de dépossession de soi qu'impose la traversée des limbes."

Ainsi, volume après volume, André Malraux multiplie-t-il les infractions au modèle traditionnel : il conjugue presque toutes les catégories génériques (essai, fiction, témoignage...), fait proliférer ellipses et analogies, accorde aux dialogues une place "jusqu'ici inégalée", procède enfin à un télescopage des lieux et des temporalités qui plonge son récit dans une "chancelante chronologie", sans cohérence ni continuité évidentes.

Jusqu'au bout, insiste Jean-Louis Jeannelle, l'écrivain aura refusé d'endosser "le costume du grand homme déroulant le fil de ses souvenirs". Au risque de dérouter son lectorat. Car, en lieu et place de l'introspection attendue, il fait de ses Antimémoires le lieu d'une méditation polyphonique sur la condition humaine. Là où ses romans tentaient d'en surmonter la fragilité, sa dernière grande oeuvre choisit maintenant de s'y abandonner. Et à la charnière de cette mise à l'épreuve formelle et existentielle, on trouve une décision qui peut sembler désuète à nos contemporains : contre l'obsession de transparence, et par-delà les illusions (auto)biographiques, privilégier ce que Malraux nommait "un langage de destin".


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CARNET DU FRONT POPULAIRE. 1935-1936 d'André Malraux. Edition établie et annotée par François de Saint-Cheron, Gallimard, 128 p., 15 €.

MALRAUX, MÉMOIRE ET MÉTAMORPHOSE de Jean-Louis Jeannelle. Gallimard, 448 p., 26,50 €.


Jean Birnbaum
Article paru dans l'édition du 26.05.06
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