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 Tout n'est pas de la faute à Rousseau (Zeev Sternhell)

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LP de Savy
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MessageSujet: Tout n'est pas de la faute à Rousseau (Zeev Sternhell)   Tout n'est pas de la faute à Rousseau (Zeev Sternhell) Icon_minitimeVen 21 Avr 2006 - 23:24

Tout n'est pas de la faute à Rousseau

Infatigable lecteur, enseignant hors pair, l'historien israélien Zeev Sternhell n'a pas son pareil pour faire découvrir des ouvrages rarement ou peu ouverts. Notamment ceux qui composent le grand récit qu'il poursuit, depuis son exhumation minutieuse dans les années 1960, avec l'oeuvre de Maurice Barrès, des sources de la droite révolutionnaire et du fascisme. Mais avec ce dernier livre, qui s'inscrit pleinement dans le sillage d'une histoire des idées décriée, estime-t-il, en France au nom d'un sociologisme de mauvais aloi, on ne se confronte plus seulement aux romanciers ou aux publicistes marginaux (Sorel, Valois, Soury, et tant d'autres) qui faisaient la saveur de ses premiers ouvrages, heureusement nourris d'abondantes citations. Les auteurs qu'il aborde aujourd'hui occupent dans l'histoire de la philosophie une place majeure, sinon centrale.

Une confrontation qui est mise au service d'une réhabilitation engagée des "Lumières franco-kantiennes", définies par le culte de l'universalisme et de l'autonomie de l'individu. Cette tradition s'incarnerait politiquement dans la civilisation issue de la Révolution des droits de l'homme. Ses grands noms restent, aux yeux de Sternhell, Voltaire, Rousseau, Montesquieu et Kant, qu'il faut cesser de n'aborder qu'à partir de leurs zones d'ombre (l'antisémitisme de l'auteur de Candide, les impasses de la morale kantienne, la fascination de Rousseau pour la souveraineté contraignante pour les citoyens, fût-ce comme "volonté générale", etc.).

Le véritable objet de la somme de Zeev Sternhell porte sur la contestation de cet héritage par la constitution d'un corps alternatif de doctrine, dont on peut suivre le cours "du XVIIIe siècle à la guerre froide". L'originalité du propos consiste à montrer que de Giambattista Vico à Isaiah Berlin, contrairement à une conception bien enracinée, les anti-Lumières ne représentent en rien une réaction aux excès de la Terreur d'abord, au volontarisme révolutionnaire ensuite. Celles-ci se forment instantanément comme le projet d'une "autre modernité", d'une "culture des contre-Lumières" dont les deux pères spirituels discutés à presque toutes les pages de ce volume foisonnant, fruit de six années de travail, ont pour nom l'Anglo-Irlandais Edmund Burke (1729-1797) et le pasteur allemand Johann Gottfried Herder (1744-1803).

Zeev Sternhell n'y va pas de main morte avec ses sources. Le problème, ici, naît de ce qu'à la différence des maîtres à penser du nationalisme intégral que furent Barrès et Maurras, ces philosophies n'ont pas seulement nourri un totalitarisme meurtrier ni allumé les incendies du XXe siècle. Le refus des valeurs universelles peut se faire au nom du pluralisme. La croyance dans l'importance des communautés constitue aussi un correctif à la solitude de l'homme plongé dans une réalité dominée par la technique, et une certaine forme de relativisme et même l'historisme (pour qui la seule essence de l'individu consiste dans son inscription dans la particularité d'une histoire collective) ont alimenté un conservatisme libéral qui a largement survécu aux apocalypses contemporaines.

L'auteur le sait et l'on sent que sa stigmatisation s'adresse moins aux adversaires déclarés du rationalisme qu'en réaction à la séduction qu'ont exercée depuis la chute du communisme, notamment auprès de certains intellectuels français, comme François Furet, les "contre-Lumières molles". Explicitement, Sternhell vise par-là la pensée du philosophe d'Oxford Isaiah Berlin, grand admirateur de Herder et du romantisme allemand et pourfendeur de Rousseau, ou celle, moins diffusée, de l'historien Jacob Talmon qui pensait, dans les années 1950, déceler dans le jacobinisme la matrice du totalitarisme. Implicitement, on s'imagine qu'entrent dans son champ d'opération aussi les modernes ou postmodernes théoriciens du pluralisme ou du communautarisme, comme le philosophe canadien Charles Taylor, qui laisse de Herder une tout autre image, ou l'Américain Michael Walzer. Pour l'auteur de Ni droite ni gauche (Fayard, 1983, réédité en 2000), la pensée radicalisée de la diversité est menacée par le relativisme et l'irrationalisme.


"AUTRE MODERNITÉ"


Est-ce pour cela que tout en faisant des néoconservateurs les derniers tenants de cette "autre modernité", il passe bien vite sur la pensée et le personnage d'un Leo Strauss qui, lui, proposait en guise d'alternative aux Lumières du XVIIe et du XVIIIe siècle la possibilité d'"autres Lumières", comme celles du Moyen Age, conciliant la foi et la raison au lieu de les opposer.

Mais Sternhell - et là gît l'un des caractères à la fois passionnants et contestables de ce travail - fait fi de l'universalisme que peuvent également charrier des visions religieuses du monde. Il les minimise dès lors qu'il les surprend à l'oeuvre chez Burke, Herder ou Berlin (juif pratiquant et sioniste) parce qu'elles dérangent le tracé rectiligne qu'il dessine de la critique des Lumières à une conception organiciste et relativiste de la société.

Pour lui, parce qu'elles sont un moment d'authentique rupture avec la théologie, les Lumières ne sont pas une conception exportable en d'autres temps ni époque que le siècle qui porte leur nom. Si le conservatisme laïc mais respectueux des croyances a bien une place dans cette fresque sous-tendue par l'idée que seul le socialisme démocratique est l'héritier légitime du libéralisme, chez Tocqueville par exemple, cette tendance s'étiole à l'en croire philosophiquement dès le milieu du XIXe siècle pour donner place aux adeptes du darwinisme social dont Taine ou Renan sont les figures éminentes.

Tout polémique qu'elle se présente, l'entreprise sternhellienne demeure profondément stimulante par les questions qu'elle amène à se poser sur l'histoire d'une dérive qui met en constellation le rejet de Descartes par Vico et le déclinisme d'Oswald Spengler. Et plus souterrainement, par les quelques étincelles d'admiration communicative qu'il laisse, çà et là, échapper pour les tenants d'une contre-culture qu'il était parti pour maudire.

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LES ANTI-LUMIÈRES. Du XVIIIe siècle à la guerre froide de Zeev Sternhell. Fayard, 582 p., 28 €.

Nicolas Weill
Article paru dans l'édition du 21.04.06 Le Monde
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