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 Aragon et Drieu la Rochelle

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LP de Savy
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MessageSujet: Aragon et Drieu la Rochelle   Aragon et Drieu la Rochelle Icon_minitimeLun 16 Jan 2006 - 0:20

LES GRANDES RUPTURES DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE

Aragon et Drieu la Rochelle : un duo improbable et fascinant

Chaque semaine, un écrivain et un dessinateur conjuguent leur talent pour évoquer une rupture – sentimentale ou amicale – entrée dans la légende littéraire.
Par François Nourissier
[03 juillet 2003]

Franchement, vous les voyez au lit ? Au lit, ensemble, à poil ? Les deux jeunes messieurs, les anciens combattants, l'homme d'Elsa-Valse et l'homme couvert de femmes... Bon, «fausse route», coup de sang inattendu – ça arrive. Pourtant, Aragon et Drieu – c'est d'eux qu'il s'agit –, le dossier est léger. Une confidence d'Aragon, en 1923, à Maxime Alexandre, selon laquelle Pierre et Louis s'étaient livrés une seule fois – jour ? nuit ? – à «des tentatives de gymnastique pas tout à fait orthodoxes»... Est-ce ainsi que les choses se disent ?

Le secret, si secret il y eut, a couru, fui, coulé. Les historiens sérieux de cette époque et de ce milieu – Pierre Daix, Frédéric Grover, Pierre Andreu – en tiennent compte.

Bon, voilà, je voulais parler d'autre chose : leur rupture, l'été 1925. C'est flou dans la mémoire des gens : pour parler d'une rupture il fallait qu'il y eût liaison... Entre ces deux-là ? Rupture, bagarres, règlements de comptes : on est dans la logique des tempéraments, des événements – le facho et le coco : vous y croyez ?

Essayons, sérieusement, de comprendre sur quoi Aragon, âgé d'environ vingt ans et Drieu – il en a quatre de plus – peuvent se reconnaître dans le désordre de la guerre finissante. Liés en 1916-1917, ils sont déjà au-delà de la guerre. Ils piaffent aux portes de la littérature. Presque ensemble ils ont rencontré Breton, Soupault, Eluard. «Dada» les a bouleversés : «d'espoir et d'amour», dira Drieu. Faire table rase. Bientôt va déferler «la vague de rêve» (Une vague de rêve : un titre d'Aragon) et va s'épanouir le surréalisme proprement dit, qui va combler Aragon mais sans doute décevoir Drieu : il portait une armure rugueuse – ces effusions et ces convulsions n'étaient pas pour lui, ni les petits jeux des cadavres exquis : première fêlure entre eux ?


Pourquoi ces deux écrivains-là exercèrent-ils sur les hommes de mon âge – nés autour de 1920-1930 – une telle séduction ? L'attrait des mauvais maîtres, bien sûr. Pour grossir le trait : l'hitlérien et le stalinien. Mais l'essentiel de leur pouvoir était plus pervers : nous savions bien qu'Aragon était un de nos plus grands écrivains – mais il pouvait passer pour dévoyé. Nous le subissions délicieusement. Drieu, à la démarche quelque peu incohérente, n'était protégé par aucune muraille morale contre les tentations exquises du désordre, des excès en tout genre – un maquereautage cynique, par exemple (c'était le mot que j'avais entendu chez un membre de sa famille dans la cotonneuse prudence de l'hiver 1945).

Il me semblait que, si je parvenais à comprendre les mécanismes de la résurrection et de la mode Drieu (1950-1962 environ), je parviendrais à calmer le jeu en moi ! Tout un pan du mystère tomberait, et je percevrais le secret de ce lien entre les amis perdus de Pierre et de Louis, et moi. La surprise fut de trouver Aragon et Drieu si ressemblants à leur légende. Drieu plus grand, malléable, filiforme. Et toujours à demi-vautré, déjeté, fatigué. Vêtements rêches mais souples, peu français. Hasard des dates, je ne l'ai jamais croisé : quand il se tue en 1945, j'ai dix-sept ans. Plus tard j'ai connu de ses familiers, des femmes surtout, qui ont accepté de répondre à mes questions un peu survoltées. A Aragon aussi j'ai posé des questions : le moins qu'on puisse dire est qu'il ne fut pas bavard.


Drieu était de complexion blonde, souple. Je le vois même un peu «désossé», «invertébré», diront ses ennemis. Il se donnait du mal pour évoquer l'Angleterre, le Nord. Aragon, lui, comme s'il avait voulu honorer le nom inventé dont son père, le préfet, puis sénateur Andrieux, l'avait fait affubler par un état civil docile aux caprices des hauts républicains, Aragon était moins grand, un peu plus épais et brun. Du moins l'ai-je imaginé, jeune homme, quand je l'ai connu trente ans plus tard. Mais certaines photos le montrent maigrelet, en lame de couteau. «Appuyé au piano du bar de La Coupole, il était beau, mais un peu l'allure d'un danseur d'établissement...», m'a dit un soir Elsa Triolet. C'était l'expression, alors, pour danseur mondain. Mais justement Aragon n'était pas «du monde», même pas de celui où l'on s'amuse : voitures lourdes, flirts, départs furtifs, liaisons enchantées et maudites. Malheurs, plaintes : Aragon devait être invivable. Drieu aussi était un nocturne, mais il fréquentait chez des gens «un certain milieu», comme on dit. Aragon c'était plutôt une vie de bar, les conversations sifflantes dans le bruit et les rires. Drieu, lui, se frottait au grand argent ; il n'éprouvait pas de gêne à ne pas posséder ce qu'il dépensait. Il faisait la fête, voilà tout. Et généreux avec les camarades. Le fut-il trop avec Aragon ? Ces choses, parfois, se digèrent mal.


Je cherche, par cette double évocation plus qu'à demi-imaginaire, à distinguer l'essentiel de deux vies : l'une dont je me suis longuement (1952-1972 environ) approché, l'autre à propos de laquelle j'ai flotté entre les hypothèses, les réponses trop précises qu'on faisait à mes questions trop vagues. Je tentais, avec l'aide de quelques femmes et de quelques lectures, de composer un «portrait-robot» de Drieu. Pour Aragon, il s'agissait de rajeunir un visage et un corps jusqu'à les imaginer dans ces années 1920-1925 où s'épanouissait une amitié un peu miraculeuse. Mais en même temps commençaient de fermenter les poisons qui, l'été 1925, allaient tuer l'attelage improbable et fascinant. Pourquoi «miraculeuse» ? Pourquoi «fascinant» ? Le duo, le couple, l'attelage – comment dire ? – Aragon-Drieu a fait partie longtemps de ma vie imaginaire, de mes nostalgies. Leur liaison, puis leur désunion (je ne mets aucun caractère passionnel dans ces derniers mots), nous ont beaucoup fait rêver. Elles nous ont aussi exaspérés. Qui, «nous» ? Les hommes trop jeunes pour avoir été associés à Drieu et à Aragon, leurs vrais contemporains, à l'âge où tout se joue, en 14-18 par exemple. J'ai rencontré Aragon pour la première fois en 1952 : il avait cinquante-quatre ans et moi vingt-quatre ; je connaissais de lui, par coeur, des pages et des pages, prose et poèmes. Nous n'étions pas à égalité. Quant à Drieu, j'appris son suicide par un journal qu'on me tendit, ouvert «à la bonne page», dans l'amphithéâtre de la première année de droit, place du Panthéon, où avait étudié Drieu en 1913, avant de subir l'humiliation d'un échec général.


Comment étaient-ils, l'un et l'autre ? Comment voulaient-ils qu'on les vît ? D'où tenaient-ils ce charme ? Aragon, pourquoi pas ? de ses origines irrégulières, cachées, «naturelles» ? Avoir été élevé dans la cachotterie embellit un homme. Drieu, d'un style physique et d'une élégance qui n'avaient pas cours en France, prend soin de son apparence. Il y a du dandysme chez chacun des amis. Et ce dandysme est aussi un terrain de rivalité, de défi. Jamais deux coqs dans la basse-cour. Autres champs de bagarre : la littérature, les femmes. En littérature, notation facile : Aragon écrase Drieu. Au temps du Paysan de Paris, d'Irène, des débuts de L'Infini, Aragon est maître absolu de son style et des coups qu'il porte. Dieu sait qu'il tire juste ! Drieu reste brutal, sommaire. Il roule des cailloux avec ses idées. Du côté des dames, ces deux chasseurs nés n'appliquent pas les mêmes règles. Encore qu'ils croient tous deux à l'amour majuscule et même, Drieu, au mariage... Des dossiers allusifs et embarrassés constituent autant de révélations ou de théories amoureuses. Aragon souffrait d'érections incomplètes : c'est Breton qui le lui fait avouer (Avouer ? C'était donc un péché ?), Drieu, tout le contraire : érections interminables mais non résolutives. Le contraire de «Monsieur Atchoum» : Monsieur «J'prends mon temps». Ejaculateur langoureux. Le priapisme du stylo vide. Sommes-nous toujours dans la critique littéraire ? Voilà qui nous fouettait le sang ! Tant désirer l'amour et s'endormir en le faisant : la surprise était toujours neuve. Quelle allure avait cet endormi, cet endormeur ? Comment ne pas rêver d'exploits aussi navrants et singuliers ? Nous nous prenions pour des héros de roman.


Je les imaginais, Pierre et Louis, dans le Paris de 1925. Leur Paris, car ils sont de la grande fête perpétuelle que zèbrent quelques éclairs d'orages. Les Arts déco règnent : Poiret habille l'époque, Dufy la peint. Doucet est le mécène des remuants jeunes gens. Les tennismen français écrasent leurs adversaires à Wimbledon. La Revue Nègre fait un malheur. Mais en Amérique le Ku Klux Klan lynche et brûle ; Hitler publie Mein Kampf : Tchang Kaï-chek prend le contrôle du Guomindang... Enfin, «chez Pierre Loeb, s'ouvre la première grande exposition surréaliste». Regardez le portrait collectif peint en 1923 par Max Ernst, Au rendez-vous des amis : on y voit Breton en gendarme impérial, Aragon l'air penché. Bien sûr pas de Drieu. Le flirt entre les surréalistes et lui a duré un feu de paille. Oh, bien sûr, entraîné par Aragon, il a essayé. Mais il parlait faux. On n'a pas un oeil fixé sur Maurras et l'autre sur Breton. A la mort d'Anatole France, il ne fut pas le dernier à cracher sur «un cadavre» – mais était-il dans le ton juste ? Au «procès Barrès», le 13 mai 1921, il a fait une déposition étonnante :

«Barrès vous est-il sympathique ?

– Je ne sais, mais j'ai le sens du respect.»


Diable ! Aragon, provocateur absolu, toujours le premier à trouver la formule expéditive et fatale, nuancera un jour sa position sur Barrès. Je n'ai pas oublié sa voix – moqueuse, inquisitoriale – quand il me disait : «Car tu crois que je renie Barrès ?...» Si Drieu avait espéré que le surréalisme était un jeu de voyous joué par des gentlemen, il ne lui restait qu'à inverser les termes de la formule. Il n'y avait pas de compromis possible entre le vieux fonds de bonnes manières, comme de la pâte trop cuite restée collée au plat, et la goinfrerie avec laquelle les surréalistes engloutissaient la quiche. Quel travail, ce portrait à quatre mains ! Ils se fauchaient des femmes ; coucheries et passions cuites au même four. Elles jouent des rôles complexes : les deux hommes se les prennent, les humilient, se font humilier par elles. Dora, Eyre, Colette, Antoinette, Bérénice (je mélange à dessein noms et identités...). Des mots atroces flottent entre eux, entre elles. Comment une amitié y résisterait-elle ?

Sur quoi celle d'Aragon et de Drieu va-t-elle buter et tomber ? On dit que «Louis» et «Pierre» laissaient, au bordel, les portes ouvertes. Tutoiement. Plaisir de commenter. Plaisir de blesser les femmes. Plaisir de la transgression du silence. Ces facilités ne nous épatent guère. J'y croirais moins si je n'avais pas dans la mémoire des confidences, des lectures et des récits de 1971 (Elsa venait de mourir, et Louis se débondait. Comme il parlait ! Du «dégazage sauvage», disent les journaux quand il s'agit de pollution.


Et les idées ? Jouèrent-elles un rôle dans la rupture de 1925 ? Sans doute pas le plus important. Aragon ne s'exposera au feu communiste qu'en 1928, et Drieu ne virera au fascisme qu'une fois Hitler installé en Allemagne. Il restera toujours un nazi atypique, obsédé, l'hiver 1944-1945, par la tentation romanesque de devenir communiste. Les lettres publiques et les articles qu'Aragon et Drieu vont se jeter à la tête en 1925 ont l'air d'avoir été «chargés» d'idéologie et d'esthétique comme on bourre de clous une bombe artisanale : pour qu'elle fasse davantage de dégâts. Mais plus que jamais, comme on dit en sport, «la classe parle» : «La France est morte, vive la France», écrit platement Drieu. Aragon : «Certains jours, j'ai rêvé d'une gomme à effacer l'immondice humaine.» Jeu, set et match ! qui le contesterait ? Ils se séparent sans illusion de retour. Même s'ils se croisèrent – forcément, à Paris ! Se parlaient-ils ? Aragon jetait quelques injures, atroces. Drieu, avec l'esprit de l'escalier, trouvait des réponses cinglantes, mais trop tard. Ce ne sera qu'au crépuscule qu'Aragon prendra la liberté d'évoquer Drieu. Ce sera avec la magnanimité des survivants. Aragon devenu patriarche bénira son petit monde. Drieu, comme Berl, comme Breton, tous récupérés, tous mobilisés au service de la seule gloire du vieil homme aux cheveux longs, aux époustouflants chapeaux blancs, une sorte de personnage d'Hector Malot que les passants de la rue de Varenne regardaient, avec curiosité, tituber sur le trottoir. «Tu sais, petit, m'a-t-il dit un jour, Pierre, à son chevet, quand il est mort, il avait un exemplaire d'Aurélien...»

Puisse l'affirmation être juste...

Ouvrages recommandés : Drieu la Rochelle, de Pierre Andreu et Frédéric Grover. Hachette littérature, 1979 ; Aragon, de Pierre Daix. Edition révisée, 1994, Flammarion ; Révolutionnaires sans révolution, d'André Thirion , Laffont, 1972 ; Diverses études d'Hubert Juin, Pierre Assouline, Sadoul, Appel-Muller, Jean Ristat, Guy Dupré, etc.
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Magnakaï
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Date d'inscription : 07/03/2006

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MessageSujet: Re: Aragon et Drieu la Rochelle   Aragon et Drieu la Rochelle Icon_minitimeMar 30 Mai 2006 - 17:50

Très instructif, je savais qu'ils avaient été proches mais à ce point...

Drieu était un homme aux solides amitiés qui dépassaient son engagement politique (je pense à Malraux), histoire-fiction: s'il ne s'était pas donné le mort, aurait-il fini comme Brasillach?
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LP de Savy
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MessageSujet: Re: Aragon et Drieu la Rochelle   Aragon et Drieu la Rochelle Icon_minitimeMar 30 Mai 2006 - 22:25

Magnakaï a écrit:
Très instructif, je savais qu'ils avaient été proches mais à ce point...

Drieu était un homme aux solides amitiés qui dépassaient son engagement politique (je pense à Malraux), histoire-fiction: s'il ne s'était pas donné le mort, aurait-il fini comme Brasillach?

Le Général l'aurait-il gracié ?
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